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La gauche peut-elle encore changer la société ? Mon point de vue en bref
Bien sûr faudrait-il encore s’entendre sur ce que l’on entend par « la » gauche, par pouvoir de changement et par ce quasi nostalgique « encore »? La précision terminologique est en cette circonstance aussi nécessaire que l’explicitation des conditions historiques et politiques qui rendent cette interrogation possible et audible. Poser ce questionnement n’est en effet pas innocent et révèle en son principe l’idée plus fondamentale d’une crise de l’idée du progrès. Les gauches d’Europe occidentale se sont d’une manière ou d’une autre constituées autour de combats collectifs pour l’amélioration constante des conditions sociales des classes populaires. Et ce n’est pas pour rien si cette marche en avant se donne à penser dans l’imaginaire de la gauche comme une histoire de conquêtes. Les victoires engrangées sur le terrain du combat social se sont hissées les unes après les autres au rang d’acquis sociaux que l’Etat providence a su convertir en droits. A cette logique progressiste se substitue aujourd’hui une logique sociétale défensive sous-tendue par la notion de sécurité.
Cette évolution ne manque pas d’affecter le discours politique. Mais plutôt que de « la » gauche faudrait-il probablement parler des gauches. De mon point de vue, on ne peut véritablement en parler au singulier que par convention de langage tant les références doctrinales peuvent être contradictoires. S’identifier politiquement à gauche, comme nous le faisons ici, ne suffit pas, loin s’en faut, à créer une cohérence suffisante avec tous ceux qui en Belgique pratiquent la même démarche. Il suffit pour s’en convaincre de penser à certains enjeux de reconnaissance portés par les descendants de travailleurs immigrés et en particulier à la question brûlante des cultes minoritaires dans un espace public laïcisé. Il serait difficile en la matière d’avancer que le clivage structurant serait simplement celui d’une opposition gauche-droite tant la question divise au sein même des deux camps. Les enjeux contemporains de la reconnaissance semblent donc s’accomoder moins facilement de cette grille de lecture que les questions plus classiques de redistribution.
La problématique principale qui sous-tend mes engagements politiques et intellectuels à gauche consiste précisément à tenter de réconcilier ces deux dimensions que sont les inégalités sociales et culturelles. Pour cela, il m’apparaît nécessaire d’élargir l’échelle de la réflexion. Car qu’on le veuille ou non, changer la société dans l’ordre de notre réflexion sur ce thème, c’est changer la société nationale. L’emprise de l’ordre national sur nos catégories d’analyse est l’un des fardeaux duquel il faut commencer par se débarasser. La capacité de changer la société dépend aussi de notre capacité d’analyser nos interdépendances avec le reste du monde. Si comme l’avance Bourdieu, les démocraties occidentales font face à une vague d’idéologie néo-libérale qui jette les bases d’une révolution conservatrice, la gauche dans ses formations nationales ne peut que subir, se cantonner dans la défensive et le repli sécuritaire. Si par opposition, elle ambitionne de penser ses valeurs d’égalité, de solidarité et de fraternité, au delà des frontières réelles ou imaginaires, de nouveaux champs de luttes de progrès s’ouvrent. Ce combat doit bien entendu être conçu avec les progressistes du monde entier, en dehors de toute volonté hégémonique et donc à travers un dialogue interculturel sincère qui rompe avec le dialogue Nord Sud fondé sur ce que Bourdieu qualifie de chauvinisme de l’universel. Les mouvements altermondialistes ouvrent une des modalités possibles de ce réechellonement du combat de la gauche au sein de la société civile mondiale. Au niveau des partis politiques, tout ou presque est à inventer. Alors, oui je pense que la gauche est capable de changer le monde.
1 commentaire:
Interessant point de vue, meme si je n'en partage pas toutes les analyses, en particulier sur l'altermondialisme, que je considere comme un mouvement ultra-conservateur, et donc, sinon d'ultra-droite, en tout cas pas de gauche (meme si les gens qui y militent ont bien sur une sensibilite de gauche).
La question posee par Politique laisse sous-entendre que le but de la gauche est de changer le monde, tandis que celui de la droite serait donc, j'imagine, de conserver les choses en l'etat. Je me demandais donc, des lors, si Politique avait egalement pose la meme question a des personnalites de droite: il eut ete interessant de lire leurs reponses...
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