Mariage forcé, crispations identitaires, communautarisme, machisme, voilà des qualifications qui, en ces moments incertains que vit le pays, en viennent avec une certaine hardiesse à se détourner de leur destination initiale. Les discussions sur les tensions communautaires autour de la formation du gouvernement ont saturé l’espace médiatique mais on a finalement appris peu de choses sur la manière dont les étrangers et les personnes d’origine étrangère, habituellement visés par les problématiques précitées, vivent cette situation. Les « nouveaux belges » ont-ils un nouveau point de vue belge à faire valoir ? Sont-ils à l’instar de la minorité germanophone les derniers Belges, tel que cela a pu être avancé à l’occasion, ou s’alignent-ils sur les positions des communautés qui les ont historiquement reçus ? Pourquoi sont-ils si peu audibles sur les questions communautaires belges ? Pour intéressantes qu’elles soient, la réponse à ces questions est rendue malaisée par l’hétérogénéité des groupes concernés, les spécificités de leurs trajectoires et la diversité de leur vécu. Elle ne sera pas facilitée non plus par la disparition des visages symbolisant la diversité au sein du gouvernement Verhofstadt III.
Et pourtant, ces 15% de la population qui ont une expérience particulièrement intime des problèmes d’identité, de diversité linguistique et de cohabitation interculturelle, ne sont pas moins concernés que leurs concitoyens par la crise gouvernementale des derniers mois et l’enjeu de l’avenir du pays. On peut même avancer sans grand risque de se tromper que, vu leur poids à Bruxelles et la centralité de cette région dans les débats sur l’avenir du pays, ils seront concernés au premier chef par l’évolution de l’architecture fédérale que pourrait générer de nouvelles réformes institutionnelles. En aucun cas, les scénarios de réformes de l’état qui résulteront du rapport de force entre Francophones et Néerlandophones ne seront neutres pour cette partie de la population.
Trois réflexions particulières peuvent être avancées pour tenter d’articuler immigration et fédéralisme à la belge. Premièrement, il faut rappeler que les nouveaux Belges, comme les nouveaux arrivants, sont sans cesse sommés de s’intégrer. Mais de plus en plus, on est en droit de se poser la question : à quoi ? Quelles sont les contours de notre identité en tant qu’habitants de l’espace Belgique? Et à quelle communauté de citoyens appartenons-nous ? Opter pour la nationalité Belge est un choix que les étrangers sont de plus en plus nombreux à faire. S’identifier à leur ville est une démarche qu’ils pratiquent quotidiennement. Entrer en revanche dans une logique de sous-nationalités sous-tendues par des idéologies nationalistes exclusives n’est pas prêt de les enthousiasmer. Et comment pourrait-il en être autrement ? A l’heure où certains souhaitent la fin de
Deuxièmement, on peut anticiper qu’une réforme de l’état qui toucherait par exemple à la sécurité sociale, bien qu’en principe neutre sur le plan de la réalité multiculturelle, pourrait avoir des effets immédiats sur ces groupes. On sait que moins de solidarité interpersonnelle conduirait à des difficultés sociales à Bruxelles et en Wallonie, on ne rappelle pas suffisamment qu’elle est une catastrophe annoncée pour les nouveaux Belges et les migrants compte tenu du fait qu’une partie importante de la population immigrée vit déjà dans la pauvreté et que certains sont même en voie de quart-mondisation. Au Nord du pays, la situation sociale de l’immigration est également mauvaise, mais la question qui vient immédiatement à l’esprit si on évoque une réforme profonde de l’état est celle de savoir si elle pourrait être de nature à amener
Troisièmement, Bruxelles et sa périphérie restent plus que jamais le nœud de toute discussion sur l’avenir du pays. A elle seule, elle accueille un tiers des non-Belges du pays et plus d’un tiers de la population bruxelloise a des racines familiales non Belges. Il se trouve que la génération actuelle des décideurs politiques francophones prend pour acquis que la population d’origine étrangère est adossée aux intérêts bruxellois francophones. Or, si cela est vrai aujourd’hui, personne ne peut garantir qu’il en sera encore ainsi demain ? Tous les jeunes bruxellois, d’origine étrangère ou non, qui aujourd’hui considèrent que donner la meilleure éducation et les meilleures opportunités à leurs enfants passe par le réseau des écoles flamandes ne préparent-ils pas des ruptures d’équilibres linguistiques pour demain ? L’exemple de Montréal, et notamment de la loi 101 qui impose l’enseignement du français aux enfants de nouveaux arrivants, indique clairement que les équilibres linguistiques des grandes villes ne sont pas des réalités immuables. D’une ville dominée par la langue et la culture des élites anglophones dans les années 70, Montréal est aujourd’hui redevenue une ville majoritairement francophone, tout comme Bruxelles pourrait re-devenir plus flamande si les zinneke que nous produisons aujourd’hui dans les écoles flamandes à Bruxelles y trouvent davantage leur compte. Nous pourrions fort bien nous retrouver face à une génération de personnes qui se positionnerait de manière plus instrumentale qu’identitaire. Si on ajoute à cela, l’investissement flamand à Bruxelles, notamment dans le secteur associatif immigré, et l’émigration vers les communes wallonnes que l’on constate déjà aujourd’hui parmi les Bruxellois les moins armés culturellement et linguistiquement, parmi les paupérisés, les exclus du marché du travail et les mal logés, alors non seulement l’équilibre linguistique pourrait évoluer au détriment des Francophones mais aussi renforcer l’ambition de certains milieux flamands de faire progressivement main basse sur Bruxelles. S’ils veulent éviter ce scénario, les Francophones seraient bien inspirés de développer à Bruxelles une politique de la langue française articulée aux politiques de l’enseignement, de l’emploi et du logement.
La place de Bruxelles dans les scénarios de réforme de l’état évoqués en Flandre depuis 1999 ne pose pas moins de difficultés par rapport à l’immigration. Les résolutions du parlement flamand sur le fédéralisme 2+2 en lieu et place du 3+3 actuel où Bruxelles serait co-gérée par
L’immigration est un phénomène essentiellement urbain. Nos villes n’ont pas encore su digérer cet enjeu majeur que d’autres enjeux plus fondamentaux encore s’annoncent. En effet, vu l’urgence environnementale, de plus en plus de personnes vivront demain dans les villes. Or, la focalisation actuelle de nos débats sur le communautaire occulte ce grand chantier de l’avenir qui est précisément celui d’aménager des villes plurielles et durables. La qualité de vie en ville et la qualité de la coexistence interculturelle dépendra de plus en plus des politiques menées pour répondre aux besoins des grandes villes. Et de ce point de vue, les enjeux ne divergent pas fondamentalement entre Anvers, Gand, Liège et Charleroi. Seule Bruxelles fait exception par l’acuité des contrastes qu’elle abrite et par sa structure de ville Région. Or, la tendance à vouloir tout régionaliser dès lors qu’une difficulté apparaît dans un dossier fédéral amoindrit le poids politique des élites politiques des grandes villes au détriment de celles des villes petites et moyennes. Qui peut penser qu’on va améliorer nos approches politiques des grands centres urbains en Wallonie et en Flandre en dévoluant davantage de compétences ? Régionaliser les éléments de politique de la ville qui sont en place aujourd’hui est une fausse bonne idée. C’est, au contraire, à travers une politique fédérale de la ville renforcée que les grandes villes wallonnes et flamandes devraient pouvoir mieux collaborer entre elles, et avec Bruxelles, tout en faisant mieux valoir leurs spécificités par rapport aux autres échelons de pouvoir. De la sorte, on se donnerait certainement de meilleures chances d'anticiper les enjeux de cohabitation interculturelle de demain et peut-être aussi de faire émerger un point de vue moins crispé sur l'institutionnel.
Hassan Bousetta
Chercheur qualifié FNRS à l’Université de Liège
Conseiller communal PS à Liège
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